International Crisis Group en est convaincu : le processus électoral hors délai constitutionnel qui se déroule depuis le 23 janvier en Centrafrique n’est pas seulement une nouvelle opportunité manquée pour la démocratisation du pays, mais c’est aussi un risque sérieux pour la paix. Pour cette ONG internationale, la crédibilité de ces élections qui ont abouti à une victoire confortable du parti au pouvoir (le KNK) et à une déroute suspecte de l’opposition, est en effet sérieusement écornée.
Dans un document intitulé « Centrafrique, les élections de l’instabilité » consultable sur son site web et signé du directeur pour l’Afrique centrale, ICG rappelle que le président Bozizé a été réélu au premier tour avec 64% des suffrages et la majorité des voix dans 14 des 16 préfectures du pays. 26 des 35 députés élus au premier tour appartiennent à son parti. Lui-même (en contradiction avec l’article 23 de la constitution) et plusieurs membres de sa famille (son épouse, son frère aîné, deux de ses enfants et son neveu, le colonel Sylvain Ndoutingai) font partie de ces 26 heureux élus. L’opposition est, à l’inverse, en déroute totale : hormis Martin Ziguélé, ses ténors sont exclus du second tour des législatives, un seul député de l’opposition est élu au premier tour et le principal concurrent du président, Ange-Félix Patassé, arrive loin derrière lui avec 21% des suffrages. Si, commente ICG, initialement les scrutins du 23 janvier ont ressemblé à un bricolage électoral, ils n’ont pas résisté à un examen détaillé par les experts électoraux étrangers.
ICG évoque « d’innombrables irrégularités qui auraient dû conduire à l’annulation pure et simple du scrutin (non-affichage des listes électorales dans les délais réglementaires, localisation des bureaux de vote dans des lieux non neutres politiquement, nombre très élevé de votes par dérogation, refus de communication des procès-verbaux, multiplicité des modèles de cartes d’électeurs, etc.), ces élections ont été caractérisées par l’usage des fonds de l’Etat pour la campagne du parti au pouvoir, par de multiples pressions de candidats du KNK, par des violations du code électoral par la commission du même nom et, in fine, par la fraude. Le coup de grâce a été la découverte que la commission électorale n’avait pas comptabilisé 1 262 bureaux de vote sur les 4 618 existants, soit environ 27% des suffrages. Le principal financeur du processus électoral, l’Union européenne, s’est rendu compte que les élections étaient sujettes à caution au regard des normes internationales tandis que l’Organisation Internationale de la Francophonie notait des « insuffisances et des irrégularités ».
Non seulement le président Bozizé a su éviter le stress d’un second tour mais il est aussi parvenu à évincer de l’arène parlementaire les principaux dirigeants de l’opposition. Bien que peu dérangeante pendant les cinq ans du mandat du président Bozizé, l’opposition démocratique devrait être définitivement mise hors jeu pour le second mandat.
« Ce scénario est dangereux », lit-on encore dans ce document de ICG. L’ONG fait remarquer que « l’opposition démocratique, déjà très faible en Centrafrique, risque de le devenir davantage : en ne laissant qu’une place symbolique à l’opposition parlementaire, le pouvoir signifie aux opposants que la lutte armée est la seule méthode d’alternance. Et ce alors que le territoire centrafricain est loin d’être pacifié : le programme de démobilisation, désarmement et réinsertion des groupes armés fait du surplace et n’a donc pas permis de régler la question de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie qui contrôle deux zones dans le nord-ouest du pays ; de récents accrochages entre un autre mouvement rebelle, la Convention des patriotes pour la justice et la paix, et l’armée ont eu lieu dans l’est du pays après le vote du 23 janvier. La résurrection des rébellions consécutive à une monopolisation du pouvoir par le président Bozizé et son parti est suffisamment prise au sérieux pour que la France et les Nations Unies tirent la sonnette d’alarme ».
Conclusion de International Crisis Group : « après le second tour, quel que soit son résultat, le gouvernement serait bien inspiré de mener une politique d’ouverture à l’égard des principales formations d’opposition. En Centrafrique comme au Burundi et en Côte d’Ivoire, la marginalisation de l’opposition est l’antichambre des troubles postélectoraux ».