« En République centrafricaine, les groupes armés locaux et étrangers continuent de tuer, d’enlever, de torturer et de violer des civils, d’incendier leurs maisons et de se livrer à des pillages », écrit Amnesty International dans un rapport rendu public ce jeudi 20 octobre 2011.
Ce document, intitulé République centrafricaine. Après des décennies de violence, il est temps d’agir, montre que la population de la République centrafricaine est terrorisée depuis des décennies par les groupes armés qui agissent dans une impunité quasi-totale.
En dépit des accords de paix et d’un récent processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), le conflit armé continue de ravager le pays, causant des morts parmi la population civile et provoquant des déplacements massifs de population à l’intérieur du pays.
« La République centrafricaine couvre un territoire immense, dont la majeure partie est en fait un espace de non-droit en termes de droits humains. Pas moins de 14 groupes armés sont actuellement en opération dans le pays. Pourtant, le gouvernement a systématiquement fait preuve de son incapacité ou de son manque de volonté pour prendre des mesures afin de protéger ses citoyens », a indiqué à Radio Ndeke Luka, Godfrey Byaruhanga, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International.
« De graves violations des droits humains, dont de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité, sont perpétrés à une fréquence extrêmement préoccupante, mais le vide juridique qui règne en République centrafricaine ne permet pas d’entrevoir la fin de ces agissements. »
Le gouvernement centrafricain exerce un contrôle précaire sur le pays, par l’intermédiaire de forces de sécurité qui manquent de moyens, de discipline et de formation, et commettent elles-mêmes des atteintes aux libertés fondamentales. Le système judiciaire défaillant n’a engagé aucune poursuite pour les crimes relevant du droit international, bien qu’ils soient inscrits dans le nouveau Code pénal centrafricain, entré en vigueur en janvier 2010.
Les mesures telles que les amnisties, qui figurent bien souvent dans les accords de paix entre le gouvernement et les groupes armés, ainsi que l’absence de poursuites engagées à l’encontre des membres des forces de sécurité et des dirigeants des groupes armés, continuent d’encourager d’autres personnes à bafouer les droits humains.
La saisine de la Cour pénale internationale (CPI) à propos de la situation en République centrafricaine, en décembre 2004, n’a abouti qu’à une seule arrestation. Jean-Pierre Bemba, dirigeant d’un groupe armé congolais, est actuellement jugé à La Haye pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, notamment meurtre, viol et pillage.
« L’ouverture d’enquêtes et de poursuites concernant les atteintes aux droits humains pouvant s’apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité est une responsabilité conjointe de la communauté internationale et de la République centrafricaine. Jusqu’à présent, toutes les tentatives en ce sens ont lamentablement échoué», a déploré Godfrey Byaruhanga.
En dépit des multiples initiatives visant à résoudre la crise, la situation des civils n’a pas connu d’amélioration. Fin 2008, par exemple, le gouvernement des États-Unis a financé et soutenu l’armée ougandaise – les Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF)– dans le but de leur permettre d’éliminer militairement la menace que représentait l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), l’un des groupes armés qui opère aujourd’hui en République centrafricaine.
L’offensive des UPDF contre les camps de la LRA s’est soldée par la mort d’un certain nombre de combattants et par la dispersion d’une partie des survivants, sans toutefois mettre un terme aux exactions de ce groupe. Les atrocités imputables à la LRA se sont en fait propagées à d’autres régions de la République centrafricaine.
Le 3 avril 2010, Thierry Bakanote, commerçant de 23 ans, a été attaqué dans le sud-est du pays par des membres de la LRA, qui ont ouvert le feu sur un pick-up transportant des passagers. Cette attaque a fait sept morts et huit blessés parmi les passagers. Les combattants de la LRA ont pillé les affaires qui se trouvaient dans le pick-up avant d’y mettre le feu.
Félicité Mboligassie et des dizaines d’autres civils ont été enlevés en mars 2008 dans le sud-est de la République centrafricaine et emmenés par les combattants de la LRA jusqu’en République démocratique du Congo (RDC). Félicité et d’autres femmes et jeunes filles ont été contraintes à l’esclavage sexuel par les officiers de la LRA, tandis que les hommes et les garçons étaient forcés de se battre pour la LRA. Félicité Mboligassie et d’autres personnes retenues ont pu s’enfuir lorsque les camps de la LRA ont été attaqués par les UPDF. Elle est finalement rentrée en République centrafricaine. Toutefois, comme les autres victimes d’enlèvements, elle vit dans la crainte de nouvelles attaques.
« L’ouverture d’enquêtes sur les atteintes aux droits humains commises en République centrafricaine et la comparution en justice des responsables présumés appelle la même réponse coordonnée et nécessite de la part des États les mêmes moyens matériels, financiers et humains que pour les autres crimes graves, a estimé Godfrey Byaruhanga.
« Les Centrafricains ont assez souffert. Les partenaires internationaux du pays doivent maintenant s’engager à mettre en œuvre de nouvelles mesures applicables afin de remédier à cette situation catastrophique. »
À la mi-octobre 2011, le gouvernement des États-Unis a annoncé qu’il allait envoyer des soldats pour aider les forces ougandaises à faire face à la LRA, tandis que le gouvernement français a réaffirmé son soutien aux forces gouvernementales de la République centrafricaine. Amnesty International estime qu’une coordination entre ces pays, ainsi qu’une approche plus globale face aux éléments armés opérant en République centrafricaine et dans cette région d’Afrique est indispensable pour résoudre le problème des graves violations des droits humains actuellement commises en République centrafricaine. Les gouvernements étrangers doivent veiller à ce que le soutien militaire ne donne pas lieu à de nouvelles atteintes aux droits humains en République centrafricaine. Il faut que les responsables de la LRA qui ont été inculpés par la Cour pénale internationale (CPI) soient remis à la Cour s’ils sont arrêtés ou capturés.
Amnesty International invite l’Union africaine, par le biais de son Conseil de paix et de sécurité, à guider la coordination des mesures destinées à mettre sur pied une coalition de gouvernements et d’organisations intergouvernementales, dans le but de protéger et de promouvoir les droits humains en République centrafricaine.