« Ces rumeurs de disparition de sexe ont conduit à beaucoup d’atteintes aux droits de l’Homme », Jean-Fernand Koena, journaliste à Radio Ndeke Luka
Jean-Fernand Koena, journaliste à Radio Ndeke Luka.

« Ces rumeurs de disparition de sexe ont conduit à beaucoup d’atteintes aux droits de l’Homme », Jean-Fernand Koena, journaliste à Radio Ndeke Luka

Dans son travail de lutte contre la désinformation, les rumeurs et les messages de haine, Radio Ndeke Luka a contribué à stopper net, en fin août, une folle rumeur qui a paniqué la ville de Bangui pendant presque deux semaines. Cette rumeur faisait croire à un mystère de disparition de sexe chez les hommes, suscitant une inquiétude considérable à Bangui, rendant difficile pour les habitants le fait de se saluer ou même de se croiser. Jean-Fernand, journaliste à Ndeke Luka, a enquêté sur cette affaire et souligne les dangers de la désinformation ainsi que ses conséquences néfastes sur la société.

Vous avez été témoin récemment d’une scène qui s’est déroulée à Gobongo, dans le 4ème arrondissement de Bangui. Pouvez-vous nous dire plus sur ce qui s’est passé ?

« Il s’agit d’un supposé cas de disparition de pénis qui a déclenché une rumeur virale dans la communauté de Bangui. Selon la population, certaines personnes seraient à l’origine de ces disparitions mystiques de l’appareil génital chez les hommes. Un jeune homme, de passage dans son quartier à Gobongo, a malencontreusement croisé un autre jeune avec qui il s’est frotté à l’épaule. Suite à cet incident, il a affirmé avoir ressenti un frisson et déclaré qu’il avait perdu son sexe. »

Comment a été la réaction du jeune et de la communauté ?

« Le jeune homme a crié à l’aide, ce qui a entraîné une affluence de la communauté. Il a clairement déclaré qu’il avait perdu son appareil génital. Face à cette situation, la population s’est levée et a commencé à rouer de coups l’innocent accusé à délit. Ce dernier a été tabassé et agressé violemment. De plus, des membres de sa famille, y compris sa tante maternelle et ses sœurs, ont également subi des agressions dans le quartier de Gobongo. »

Quelle a été la réaction des autorités à cette accusation ?

« Aussitôt alerté, le chef du quartier a pris la mesure du possible de faire venir les belligérants chez lui à la maison, pour les questionner. Et quand il a amené le jeune qui se dit victime d’actes d’envoûtement ou d’ensorcellement liés à la disparition de son sexe, ainsi que l’accusé qui était déjà fatigué après une agression. Le chef a mis la victime de la disparition de sexe dans une chambre close et l’a interrogée pour comprendre le mobile de cette accusation. Et c’est là où il va se rendre à l’évidence que finalement le jeune garçon n’a pas perdu son sexe, mais c’était l’effet domino de cette rumeur qui a déjà gagné toute la communauté banguissoise dans ces temps- là qui a eu de l’impact sur lui. Son sexe était bel et bien là. Et puisque toute la communauté était déjà prête à en découdre avec ce gars, le chef du quartier a fait appel à la police qui était venue aussitôt prendre le jeune et l’amener au commissariat pour le mettre à l’abri de toute agression. Nous étions venus au moment où la police était en train d’embarquer le jeune pour le protéger et on a eu un entretien avec l’autorité du quartier, le chef Obama, qui a expliqué la situation. Nous pensons donc que ces rumeurs ont généré beaucoup de cas d’atteinte aux droits de l’homme. »

Ce qui veut dire que certaines personnes qui ont été accusées à tort ont fait les frais de ces rumeurs ?

« Bien sûr, ces rumeurs ont eu des conséquences graves, car elles n’étaient que de la désinformation non vérifiée. Ce ne sont pas des faits avérés, et aujourd’hui, il reste difficile pour les victimes de retrouver ou d’identifier ceux qui les ont agressées. Ce qui complique le dépôt de plaintes pour obtenir justice. De nombreuses personnes ont été agressées tout au long de cette période de désinformation qui a envahi Bangui, illustrant ainsi les dangers de la rumeur dans notre communauté. »

Et selon vous, face à cette situation, quel comportement peut-on adopter ?

« Le premier comportement à adopter est le comportement citoyen. Nous vivons dans une communauté où la tradition orale reste le principal moyen d’information, et l’esprit critique face à la désinformation n’est pas encore bien ancré. Il est donc crucial, en période de panique ou de désinformation, de prendre du recul pour essayer de comprendre la situation. Je peux affirmer que ce n’est qu’après que Radio Ndeke Luka a dénoncé l’absence de fondement de ces informations que les agressions ont arrêté. Depuis qu’on a débunké cette rumeur, il n’y a plus d’attroupements, plus d’agressions, et cette angoisse générée par la circulation de cette folle rumeur a disparu. Parce que les gens sont rassurés. Cela montre que le manque d’information contribue à la désinformation, laquelle peut avoir des conséquences dramatiques dans un pays »

#StopATènè, la cellule qui lutte contre la désinformation et les messages de haine en République centrafricaine.