Il n’a pas voulu laisser la Française Claudia Priest seule aux mains de ses ravisseurs mais a préféré se faire prendre en otage par des Antibalaka qui réclamaient la libération de leur chef, le « Général Andjilo ». Le Frère Gustave Honoré Reyosse, religieux centrafricain, est resté aux côtés de Mme Priest pendant 5 jours. Au lendemain de leur libération survenue le vendredi 23 janvier, il a raconté à Radio Ndeke Luka les circonstances de cet enlèvement et leur vie en captivité. Nous publions aujourd’hui son histoire, sachant qu’il est en sécurité. Nous revenons aussi sur l’entretien que nous a accordé, Claudia Priest qui nous a dit sa « foi dans la population centrafricaine » malgré son kidnapping.
« Ce que j’ai fait est normal. J’avais trop honte pour les Centrafricains. Je devais aider Mme Priest » : Le Frère Gustave Reyosse, de la Congrégation du Saint Esprit, n’a pas le sentiment d’avoir accompli un acte héroïque le lundi 19 janvier dernier. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. « Ce matin-là, un de mes confrères m’a demandé de l’aider à décharger un véhicule où se trouvait du matériel prêt à être livré : des tables d’accouchement qui étaient attendus dans des centres de santé non-fonctionnels après les pillages. Mme Priest les avait ramenés, à ses frais. Mais je devais préparer mon retour en Province car je ne travaille pas à Bangui et je ne voulais pas y aller. Mon confrère a insisté disant que le matériel était lourd et j’ai accepté », se souvient-il. Tous prennent la route en direction de Damara dans le véhicule, propriété de l’Organisation non-gouvernementale Coordination diocésaine de la santé (CODIS).
C’est au quartier Combattant qu’un groupe d’Antibalaka armés arrête leur voiture. « C’est allé très vite. Ils nous ont éjecté de la voiture et vidé les poches. Ils m’ont pris les 200’000 Francs CFA que nous avions réunis pour aider les villageois et n’ont rien voulu entendre. Ils ont pris mes deux téléphones. J’ai insisté pour qu’ils me donnent les cartes sim car c’étaient mon seul moyen de joindre des villageois souffrant mais ils n’ont pas écouté », se rappelle le Frère Gustave. Pendant qu’il se faisait détrousser hors du véhicule, les ravisseurs arrachaient les bijoux et effets personnels de Claudia Priest.
La voiture a alors démarré. « J’ai entendu la Française hurler « pitié, mon mari, mes enfants, mes petits-enfants ». Je me suis dit que je n’ai pas d’enfants, pas de femme, pas de famille, que ma vie ne valait rien. Alors j’ai couru, j’ai couru, j’ai rattrapé la voiture coincée dans les embouteillages, je suis monté », dit ce religieux, « j’avais trop honte, trop honte pour mon pays. Honte qu’on ne sache pas remercier des personnes simples venues nous aider gratuitement ».
« J’ai pardonné tout de suite »
Dès lors, il est resté près de Claudia Priest pour la réconforter, lui remonter le moral. « Nous avons marché plusieurs kilomètres jusqu’au lieu où nous étions détenu. Je lui ai dit qu’il fallait espérer et attendre de voir ce que les autorités feraient pour notre libération. J’ai aussi goûté la nourriture qu’on nous apportait pour lui montrer qu’elle n’était pas empoisonnée. Ensuite elle pouvait manger un peu », se souvient le religieux.
Parmi leurs geôliers, le Frère Gustave fait la distinction entre les « brutes » et ceux qui ont fait preuve de générosité. « Il y a des gens qui ont bon cœur, qui parlent et s’expriment bien, qui écoutent, compatissent, comprennent. Ceux-là on peut entendre leurs revendications. Mais d’autres sont décidés à s’opposer par la violence », observe-t-il. A la question de savoir pourquoi une milice dite « chrétienne » (dans des médias internationaux) l’a enlevé, lui un religieux chrétien, il répond : « on sait bien ici que les Antibalaka ne sont pas une milice chrétienne. C’est un fourre-tout. Ceux qui nous ont enlevé n’en ont que faire de notre appartenance religieuse. Seul l’objectif de libération de leur chef comptait ».
Et maintenant comment vous sentez-vous ? « J’ai quelques courbatures mais ça va mieux », dit-il avant de retrouver les membres de sa congrégation religieuse. Le Frère Gustave n’a pas souhaité des photos de lui. Lorsque nous lui demandons s’il est arrivé à pardonner à ses ravisseurs, il répond sans hésitation : « J’ai pardonné tout de suite, même celui qui a mis la machette sur mon épaule, je lui ai serré la main et dit en partant : je te pardonne ». Avant notre départ, il remercie l’équipe de Radio Ndeke Luka pour la couverture de cette prise d’otage : « Nous vous écoutions. Merci vraiment de ce que vous avez dit et des messages qui sont passés sur la radio. Nous sentions que nous étions soutenus ». Le frère Gustave est reparti en région la semaine dernière. Il doit maintenant reconstruire son réseau de contact pour continuer sa mission d’aider les plus pauvres.
« Ils m’ont tout arraché »
Deux heures plus tôt, ce samedi après-midi, Claudia Priest enchaînait les entretiens avec les médias français, à la résidence de l’Ambassadeur de France à Bangui. Elle a aussi tenu à parler à Radio Ndeke Luka, qu’elle écoutait en captivité, pour dire un mot à la population : « Je vous écoutais ! La réception était mauvaise dans la pièce où j’étais mais je vous écoutais. Merci pour ce que vous avez dit ! ».
La colère arrive lorsqu’elle parle de son enlèvement : « Ils m’ont tout pris. Ils ont arraché mon alliance, les photos des enfants que nous avons fait opérer, mes lunettes, mon bloc-note où j’avais tout noté de ma mission. Ils ont arraché ma croix ». Elle nous montre ses bleus aux bras car elle a résisté, raconte avoir eu un couteau sous la gorge, avoir pris des coups à la tête, avoir été traîné par terre et ces menaces : « On va te tuer ! », qu’hurlaient les ravisseurs. Claudia Priest a craint le pire. Elle se souvient des armes que détenaient les ravisseurs : « Il y avait des fusils, des chargeurs, des munitions, des grenades. Ils tiraient de joie en l’air ».
Mme Priest fait aussi la distinction entre ses geôliers dans le village où elle a été conduite avec le Frère Gustave et leurs ravisseurs. « Ceux du village étaient meilleurs, intelligent. Ça change tout quand on est intelligent. Ils étaient instruits, parlaient bien le français et nous nous comprenions. Les jeunes qui nous gardaient prenaient de leur poche pour nous alimenter et nous donner de l’eau. Ils ont pris leurs petites pièces jaunes pour nous acheter le café et des beignets. Ils ne soutenaient pas ces actions d’Antibalaka mais ne pouvaient pas d’opposer pour leur propre sécurité. Ce n’étaient pas des brutes épaisses, des analphabètes comme ceux que j’ai eu au début, qui ne voulaient rien entendre, qui regardaient même mes papiers à l’envers ».
« J’aime cette population »
L’éducation est la clé selon elle, pour combattre la montée des groupes de jeunes malfrats à Bangui. « La plupart des jeunes du village où nous étions étaient bien éduqués par leurs mamans. Ils sont allés à l’école et ça fait toute la différence avec les autres qui ne pensent qu’à piller », fait remarquer Mme Priest qui regrette qu’avec la crise politique en RCA, les deux dernières années scolaires ont été perturbées.
Claudia Priest bénévole d’une ONG, Imohoro (du nom d’un village centrafricain), qu’elle a créée avec son époux en 2005, préparait son voyage depuis 2 ans. Son voyage était entièrement à sa charge – billet d’avion, hébergement et location de voiture. « Nous avons construit des écoles, des centres de santé, des forages d’eau potable, nous avons fait opérer des enfants handicapés nés avec une fente labiale ou le pied bot. Nous avons organisé des opérations d’enfants et notre travail est suivi par des associations de rééducation pour les handicapés. Une jeune fille amputée récemment, a reçu une deuxième prothèse », raconte-t-elle, nous montrant la photo d’un enfant portant une fente labiale. « J’ai dit à sa maman : tu verras nous allons aider ton beau bébé ».
Ce kidnapping a-t-il affecté son engagement ? Reviendra-t-elle en RCA ? « Je suis partagée. Je n’imaginais pas un acte de terrorisme sur une ONG ici. Quand on s’attaque aux humanitaires c’est toute une population que l’on prive de ses bienfaits », dit-elle souhaitant que ces actes ne pénalise pas la majorité de la population qui est « bonne, brave et compatissante ». Elle prendra une décision sur un retour en RCA après consultation avec sa famille et ceux qui soutiennent Imohoro. « J’aime cette population qui m’a témoignée beaucoup de sympathie, de soutien. J’ai foi en elle. Je suis restée forte parce que je savais qu’elle était derrière moi, j’entendais leur témoignage à la radio et partout, je savais leur prière, leur détermination à ce que je sois libéré. Je ne peux pas les abandonner à leur triste sort, j’ai encore beaucoup de travail à faire avec eux », déclare Mme Priest.
Un mot en sango à cette population ? Emue, elle marque un temps d’arrêt avant de lancer, les larmes aux yeux : « Singila mingi, merci beaucoup ». Claudia Priest a retrouvé les siens en France, le dimanche 25 janvier.
Photo : L’ex-Otage Claudia Priest a retrouvé la liberté après 5 jours de captivité.