Quelles sont les conséquences des viols en Centrafrique ? La question est posée par la Cour Pénale Internationale. Depuis mardi 11 avril, le médecin chef du service de psychiatrie de l’hôpital de Bangui fait sa déposition, à la demande du procureur, contre Jean-Pierre Bemba. Le Docteur André Tabo, psychiatre, a suivi pendant plusieurs années les victimes de viols commis durant la guerre en Centrafrique, en 2002 et 2003.
Selon l’agence Hirondelle, depuis la guerre, le psychiatre centrafricain a traité 371 victimes de viols. Outre les effets psychologiques, de nombreuses femmes violées sont tombées enceintes, et certaines ont contracté le virus du Sida ou la syphilis.
Par ailleurs, elles sont le plus souvent durement stigmatisées par la population, désignées comme « les femmes des banyamulenges », nom donné aux soldats venus du Congo-Kinshasa voisin. Le Docteur Tabo explique : Le sentiment de culpabilité, de honte est présent. L’une m’a dit : ‘j’aurais dû ne pas être belle à ce moment là’. C’est un sentiment de culpabilité, vis-à-vis d’elle-même et de son conjoint ».
Ceux-ci ont souvent rompu le lien conjugal « parce qu’ils estiment que la personne ne peut plus être leur conjoint. Dans certains cas, les enfants ont été retirés », a déclaré le psychiatre.
Question du substitut du procureur : « quel est l’impact psychologique sur les témoins de ces viols ? »
Réponse du psychiatre : « certains enfants ont eu des difficultés scolaires, par rapport à ce qui se dit ou se fait dans le quartier ou à l’école. Par rapport au conjoint, la difficulté c’est de rester loyal par rapport à l’engagement conjugal et supporter la stigmatisation des autres. Ils ne nomment plus ‘Paul’, comme ‘Paul’, connu du quartier – mais comme le mari de la femme qui a été violée ».
Le Docteur Tabo a encore ajouté : « ces femmes violées souffrent de dépressions graves, ressentent des pulsions suicidaires, certaines ont commencé à prendre de l’alcool et des drogues de façon abusive, pour lutter contre les flashbacks, pour ‘s’évader’ de leur traumatisme psychologique. Pour elles, la peur est présente au quotidien. Peur d’aller au marché, parce qu’elles pouvaient, en rencontrant un homme en arme, se souvenir de leur viol. Elles pouvaient aussi avoir peur d’être montrées du doigt. »
Au cours des traitements, le psychiatre a aussi noté que certaines femmes souffrent du « rituel de lavage ». André Tabo estime que plusieurs victimes « ont élaboré un mécanisme pour se laver plusieurs fois par jour, pour se laver de la souillure qu’elles ont connu. Se laver plusieurs fois lui permet de penser qu’elle n’est plus sale ». Ces femmes expriment aussi agressivité et colère, envers leur entourage. « Cette colère est adressée contre leurs agresseurs. Ce sont des inconnus, qui les ont violées, qu’elles ne verront jamais. »
Pour André Tabo, les victimes ne peuvent assouvir un désir de vengeance.