La ville de Obo (extrême-est de la RCA) est en effervescence en cette journée du 15 juin 2011. Plus de 5000 personnes ont participé dans la matinée à une marche pacifique. Les fonctionnaires et autres agents de l’Etat en poste dans la ville sont les plus visibles et les plus remuants. Ils protestent ainsi contre la présence de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) dans leur localité. Dans les autres villes de cette préfecture du Haut Mbomou on marche également. Il en est donc ainsi à Rafaï, Djema, et Zemio (est).
De tout ceci, le correspondant de Radio Ndeke Luka a rendu compte dans l’édition du journal de la mi-journée. Partout, les marcheurs ont brandi des banderoles sur lesquelles on peut lire : « Bozizé réagissez, la LRA nous tue, nous voulons la paix. Ils manifestent leur mécontentement sur 5 kilomètres avec observation d’une minute de silence en mémoire du médecin-chef et son chauffeur assassinés le 6 juin par les hommes de Joseph Koni », raconte le correspondant.
Pendant ce temps à Bangui la capitale, on procédait à l’enterrement du médecin tué le 6 juin dernier ainsi que son chauffeur par des hommes de la LRA. Un énième incident qui a suscité une vive émotion en Centrafrique.
Il pose de nouveau la question des raisons pour lesquelles cette guérilla continue de frapper.
Le véhicule du médecin a été attaqué en forêt sur l’axe Zémio-Rafaï, alors qu’il se rendait à Obo avec un chargement de vaccins contre la poliomyélite. Un groupe d’hommes armés appartenant à la LRA a tué le médecin et son chauffeur, puis a incendié le véhicule.
Dans un communiqué publié deux jours après ce tragique incident, le Collectif d’action contre l’Armée de résistance du Seigneur a demandé au gouvernement centrafricain «de tout mettre en oeuvre afin de bouter ces rebelles hors de son territoire» et à la communauté internationale « de voler au secours de Bangui pour atténuer les souffrances des populations locales déjà meurtries ». Le collectif ne s’arrête pas là. Il invite les populations de Obo à une marche contre la LRA et pour demander que les autorités prennent leurs responsabilités et assurent la sécurité de la population.
De son côté, l’Ordre des médecins a organisé mercredi 8 juin, une manifestation à Bangui. Une marche dans les rues de la capitale a conduit ses membres jusqu’aux grilles du Palais de la Renaissance. Sur place, un mémorandum a été remis au président François Bozizé. L’ordre entend récidiver le 15 juin à l’occasion des obsèques du médecin. Quant à la famille du chauffeur, elle n’exclut pas de saisir les autorités judiciaires et porter plainte pour meurtre.
L’Agence Hirondelle vient de publier une enquête sur la LRA. Elle essaie notamment d’expliquer pourquoi cette organisation de rebelles demeure active et surtout impunie à ce jour. Ce contexte de violence a été dénoncé par l’organisation américaine Human Rights Watch, dans un rapport publié le 23 mai dernier. « Près de trois ans après le lancement d’une nouvelle vague de violence par la LRA visant des villages et des villes de la République démocratique du Congo, du Sud-Soudan et de la République Centrafricaine, des lacunes considérables subsistent en matière de protection de centaines de milliers de civils qui vivent dans les régions où la LRA sévit », indique l’ONG.
« Depuis septembre 2008, la LRA a tué près de 2 400 civils et en a enlevé quelque 3 400 autres, dont beaucoup d’enfants, et a été à l’origine du déplacement de plus de 400 000 personnes de leur domicile », estime Human Rights Watch.
« Il y aurait à nouveau eu une grande série de meurtres et d’enlèvements dans les derniers mois, et plus de cent attaques rapportées depuis le début de 2011 », déclare Pascal Turlan, conseiller en coopération internationale au bureau du procureur de la CPI. Cette situation n’est pas due selon lui à un manque de volonté des Etats d’arrêter les membres de la LRA, mais à «un problème de capacité » face à une guérilla « organisée et dangereuse ».
En Centrafrique, la LRA a jusqu’ici surtout été inquiétée par l’armée ougandaise, qui y exerce un « droit de poursuite » depuis la fin de l’année 2008. Une force à laquelle pourrait se joindre prochainement des « brigades conjointes » coordonnées par l’Union africaine, dont la création a été entérinée lors d’une réunion organisée à Bangui en octobre dernier, indique Pascal Turlan.
Selon lui, il y a actuellement de la part de la communauté internationale « une reconnaissance tangible que l’arrestation des trois personnes poursuivies par la CPI est la clé pour la fin de la LRA et la fin des souffrances des populations dans cette région. La réunion de Bangui d’octobre dernier, celles de l’Union africaine qui vont avoir lieu prochainement sont des signes encourageants. Mais il faudra voir ensuite si les actes suivent ces démarches politiques.»
En 2005, cinq mandats d’arrêt ont été lancés par la Cour pénale internationale (CPI) contre les principaux leaders de la LRA, qui n’ont pas toujours pas été arrêtés six ans après. Deux des personnes visées étant probablement mortes, ces mandats visent aujourd’hui son chef, Joseph Kony et deux de ses commandants encore en activité, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen.
Née au Nord de l’Ouganda après la prise de pouvoir du président Yoweri Museveni, la LRA s’est formée en 1987 autour d’un leader politique et spirituel, Joseph Kony, qui s’est entouré d’un état-major composé de militaires déchus de l’armée ougandaise. Progressivement chassée du Nord de l’Ouganda, la LRA essaime depuis fin 2008 au Congo, en Centrafrique et au Sud Soudan.
L’éclatement géographique de la LRA complique depuis les poursuites. « La LRA a toujours été très dangereuse, confirme Sandrine Perrot, spécialiste de l’Ouganda au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po à Paris. Elle a toujours été très mobile, a toujours réussi à contourner les services de sécurité de plusieurs armées. C’est un groupe que l’on a toujours sous-estimé militairement et qui en fait s’avère être très efficace sur le terrain. »
« La CPI lance les mandats d’arrêt, mais ensuite il lui faut un bras armé pour les exécuter, poursuit Sandrine Perrot. Ça a été la grosse ambiguïté par rapport à l’action de la justice internationale dans la région. En dehors de l’armée ougandaise, qui maintenant commence un peu à être démoralisée parce que le président centrafricain les a confiné un peu au Sud du pays, il est clair que les armées de la région ne font pas de l’arrestation de Kony une priorité. »