Ailleurs c’est la tyrannie du riz. En RCA, c’est celle du manioc. Le plat presqu’unique au menu des centrafricains, c’est la boule de manioc et les feuilles de manioc. De quoi tromper la faim mais pas se nourrir. Par ces temps de crise, la situation est encore plus dramatique. Les « chercher-à-manger » peuvent difficilement en acheter et crient famine un peu partout dans le pays.
Inutile de demander aux habitants de Bangui ou d’ailleurs dans le pays, quel sera le menu du jour, la réponse ne varie guère. Pour tous, tous les jours, la boule de manioc est le plat unique et immuable. Deux fois par jour pour ceux qui ont les moyens, une seule fois pour les familles nombreuses. Et c’est la grande majorité des centrafricains. A côté de la grosse boule, la sauce est bien maigre : des feuilles de manioc pilées, bouillies et arrosées de quelques gouttes d’huile de palme. Seule variante possible : les feuilles de koko, un produit de cueillette ramassé dans la forêt. Après le rouissage on peut obtenir de la farine de manioc ou du chikwangue (boudin de manioc enveloppé dans des feuilles de bananier et cuit à la vapeur) fabriqué partout en Centrafrique.
Le panier des ménagères est bien troué actuellement par la situation du marché. A Obo (sud-est) une cuvette de manioc qui coutait 1500 FCFA (environ 2,6 euros) est passée à plus de 5000 FCFA (7,7 euro). Et le correspondant de Radio Ndeke Luka indique qu’il « faut un véritable parcours du combattant pour retrouver cet aliment devenu désormais rare. Selon quelques spécialistes de l’agriculture de la ville, « la crise n’en est qu’à ses débuts, et il faut au moins 2 ans pour retrouver de manioc à Obo».
A Bouar (nord-est), la cuvette vendue naguère à 1000FCFA (environ 1,3 euros) a vu son prix également doubler en un record de temps à 2000FCFA (2,3 Euros). Les agriculteurs interrogés expliquent que cette pénurie est due à la rareté de la pluie dans la région. Ils prédisent déjà que le prolongement de la saison sèche cette année ne permettra pas une bonne production pendant cette année agricole. A Mobaye (est), la cuvette qui se vendait à moins de 1000 FCFA, varie actuellement entre 1500 et 2000 FCFA, indique le correspondant de RNL.
Dans la capitale centrafricaine, près de sept familles sur dix ne connaissent que la sauce aux feuilles de manioc. Autrefois, c’était le repas des pauvres. Mais, la viande de bœuf est devenue rare comme les œufs de crocodile. Les coupeurs de route qui sévissent dans le nord du pays ont fait fuir bon nombre d’éleveurs peuls vers le Cameroun. Du coup, à Bangui, la viande est devenue très chère. A 2500 F cfa (3, 8 euros) le kilo voire 3000 frs (4,5 euros), même les familles de salariés ne peuvent plus en acheter que les jours de fête. De manière générale, la vie est devenue particulièrement difficile à Bangui. Les prix ont connu de fortes hausses sans que le pouvoir d’achat augmente.
Les gens sont obligés de se serrer la ceinture. Beaucoup de banguissois ont faim, la plupart mange mal. Tout est bon pour améliorer l’ordinaire. Quelques exemples qui montrent que la nourriture est devenue une hantise : ce manœuvre de la mairie du premier arrondissement de Bangui qui chasse les rats dans les bacs à ordures. Trois rats capturés, c’est un repas assuré ; ce cadre centrafricain, qui n’a pas voulu dire son nom, raconte qu’au cours d’un séjour d’un mois dans sa famille en Europe, il s’est rendu malade à force de manger. Il voulait faire des réserves en prévision de son retour à Bangui.
Les enfants sont tout particulièrement touchés. « Je suis mère de cinq enfants tous d’âge scolaire, explique Virginie Mokéma, une jeune femme de 28 ans. Je suis seule à m’occuper d’eux car leur papa nous a abandonnés. Ils ont de sérieux problèmes de nourriture. Les trois derniers sont pratiquement malnutris. Mes revenus ne me permettent pas de leur offrir à manger en quantité et en qualité. Voyez-vous, je ne dépense que 300 F (0,58 euros) cfa pour les faire manger. Quand ils mangent pour 500 F cfa (0, 80 euros), c’est la fête. Du coup, mes enfants ne vont pratiquement pas à l’école, ils ont constamment faim et sont malades en permanence ».
Ce constat n’a malheureusement rien d’étonnant car le régime « tout manioc » est carencé. Riche en amidon, la farine de manioc « cale l’estomac » mais ne « nourrit » pas l’organisme. C’est ce qu’explique le Dr Koumanzi Malo, nutritionniste connu à Bangui : « le manioc est un aliment énergétique qui rassasie mais qui est beaucoup plus pauvre en protéines que les céréales. Pour une alimentation équilibrée, il faut le consommer accompagné de viande ou de poisson, d’arachide et d’huile ». Mais, dans les familles pauvres, ces ingrédients trop coûteux ont pratiquement disparu des sauces. Les feuilles de manioc beaucoup plus riches en protéines constituent cependant un bon complément.
Mais si le manioc est un rempart contre l’insécurité alimentaire, encore faut-il le trouver par les temps qui courent. Produit de base devenu rare et cher.